Am I ever going to recover? || ft. Susana

C’était ça qui était le plus compliqué : devoir mentir aux autres, lorsqu’elle savait tout ce qui était vraiment à propos de cette épidémie. Devoir garder son calme, au lieu de leur dire « il faut partir, maintenant, et ne jamais remettre les pieds ici. Il faut trouver un endroit où rien ne pourra jamais nous atteindre… » Le problème, c’était justement que Susana n’avait aucune idée d’où se trouvait cet endroit en question. Le paradis au-dessus de tout, du pire surtout, où elle saurait mettre ses proches à l’abri. Et pour cette raison, Susana n’avait pas le choix que de continuer à se battre pour trouver une solution. Elle ne voyait pas d’autres vies possibles pour l’humanité sans un vaccin, une avancée extraordinaire, quelque chose qui ferait que…

Pour l’instant, c’était le vide, mais il fallait garder l’espoir que ça change. Que ceux déjà morts ne le soient pas pour rien. Que ceux à venir aient une chance de s’en tirer. Parce qu’il pouvait s’agir de sa famille, de Lupe, d’Eva ou de Luz. Des trois femmes qui faisaient sa vie aujourd’hui, et qui l’obligeaient à continuer ensemble. Susana ne pouvait sincèrement pas imaginer une existence sans elle, mais elle ne pouvait pas non plus savoir ce que l’avenir lui réservait. La boule au ventre, changer de sujet lui semblait tout simplement impossible. Parce que depuis des semaines que ça durait, elle n’avait que ça en tête… Que la peur d’échouer, et d’embarquer avec elle toute l’humanité.

Et si elle n’était pas la seule à porter ce fardeau, elle savait qu’ils n’étaient pas assez pour réussir à parer au problème. Les demandes du sénateur commençaient tout juste à être vraiment étouffante, et il ne se rendait pas compte que la demande se ferait progressivement plus oppressante, jusqu’à ce que la pression ne s’évacue plus, et que tout implose. Si les fêtes de noël approchaient, et qu’elle espérait comme tout le monde du mieux, au moins pour sa famille, elle était incapable d’oublier l’épée de Damoclès au-dessus de sa tête, qui menaçait à chaque instant de la décapiter. Et Susana avait peur, bien plus que ce que ses proches se doutaient.

« Tu as raison, mieux vaut parler de choses plus joyeuses ! » Fit la cubaine dans un sursaut, enlaçant toujours la main de sa petite sœur. C’était comme si elle avait peur de la lâcher, de la laisser partir. Elle ne pouvait pas… « Tu as eu des nouvelles d’Eva dernièrement ? Elle va bien, elle compte rentrer à un moment ou passer nous voir ? » Blagua-t-elle dans la foulée.

L’arrivée d’Eva serait un bon début pour parvenir à se changer les idées. Leur sœur était loin pour l’instant, en mission à l’étranger, mais la date du retour était annoncée pour d’en pas très longtemps, et elles se faisaient un point d’honneur à pouvoir aller la retrouver lorsqu’elle rentrerait ! Les sœurs Sanchez avaient toutes un profil très différents, et personne ne pouvait imaginer à quel point elles étaient finalement soudées…

Il y a des jours, comme aujourd'hui, où j'aimerais pouvoir parfois lire dans les pensées des gens qui m'entourent. Pas tout le temps, je ne tiens pas à savoir ce que tout le monde peut penser au quotidien. Je m'en fiche pas mal à vrai dire. Non, ce qui m'intéresse vraiment c'est de savoir ce qui semble tant tracasser ma grande sœur. Susana semble avoir constamment cet air inquiet au visage, même si elle tente tant bien que mal de le dissimuler. Le soucis, c'est que je la connais certainement trop bien pour me faire avoir par son sourire de façade et sa façon d'avoir l'air de toujours tout gérer. Bon, d'accord. Je suis mal placée pour parler. Je sais. Mais ce n'est pas pour autant que je ne vais pas m'inquiéter pour mon aînée.

J'ai beau être la plus jeune des Sanchez, cela ne veut pas dire que je ne peux pas m'en faire pour mes sœurs. Après tout, elles ont passé tellement de temps à se faire un sang d'encre pour moi. Entre la maladie quand j'étais petite et ensuite ma période... quelque peu « rebelle », disons que je n'ai pas vraiment été tendres avec elles. Et encore aujourd'hui, je sais que j'ai inquiété Susana en la laissant me voir ainsi. J'aimerais tellement pouvoir être aussi forte qu'elles deux. Que ça soit Eva ou elle, elles ont toutes les deux l'air de savoir si bien gérer le quotidien. J'en viens à me demander ce qui a bien pu rater chez moi. Par chance, je sais bien faire semblant. Faire croire aux gens que je gère très bien ce qui peut m'arriver. Généralement ça fonctionne. Même avec mes sœurs. Un véritable talent d'actrice sommeille en moi.

Regardant quelques instants nos mains, ma grande sœur semblant refuser de lâcher la mienne, je l'écoute accepter que l'on change de sujet. Que l'on parle de quelque chose de plus joyeux. Je suis assez surprise par contre que le sujet qu'elle ait choisi soit notre sœur. Nous n'avons pas vu Eva depuis si longtemps, sans avoir de nouvelles en prime, que cela me surprends qu'elle ait abordé cela. Mais d'un autre côté, ça provoque comme une étincelle dans mon esprit. J'étais tellement occupée à m’apitoyer sur mon sort que je ne pensais même plus au coup de fil que j'ai reçu hier soir.

« Tu fais bien d'en parler parce que j'en ai effectivement eu ! » Dis-je presque avec des étoiles dans les yeux et des paillettes dans la voix. Oui, notre sœur me manque. Et je sais que c'est pareil du côté de Susana. « J'ai eu un appel hier soir, c'était certainement pour toi mais comme t'étais pas là j'ai décroché. Après tout personne n'a mon numéro de fixe alors... Enfin bref ! Oui, elle va rentrer ! Et apparemment elle va bien. Elle devrait rentrer d'ici deux semaines si je me souviens bien ! Et apparemment il faut que je lui trouve un appartement d'ici là... » Un air pensif vient traverser mon visage avant que finalement je n'arrive à reprendre mes esprits et à afficher un grand sourire à ma grande sœur. « C'est une bonne nouvelle tu trouves pas ? »

Pour moi, c'est une bonne nouvelle. Parce que même si les circonstances actuelles ne sont pas les meilleures, on va enfin être réunies toutes les trois. Et je me demande depuis combien d'années cela n'avait pas été le cas. Bien trop longtemps, si vous voulez mon avis. Attention Boston, les sœurs Sanchez vont être de retour !

Susana lui fit les yeux ronds en l’écoutant. Elle tourna le regard sur elle, un bref instant, papillonnant des cils, avant qu’un immense sourire ne perce sur ses lèvres :

« Tu es sérieuse ! » S’exclama-t-elle soudainement, à la dernière question de sa sœur. Eva revenait ! « Bien sûr que c’est une bonne nouvelle ! » Ajouta-t-elle sans doute trop fort, au point peut-être de réveiller sa fille.

Mais il y avait des bonnes nouvelles qui ne donnaient pas envie de se taire. Il y avait des fois où la joie avait besoin de s’exprimer. La journée avait été suffisamment sombre comme ça. Pour l’une davantage que pour l’autre, néanmoins il fallait se réjouir de ce que la vie offrait de bon. Eva revenait à la maison : elle rentrait enfin après de longs mois d’absence, sans pouvoir la voir, ou plus simplement lui parler au téléphone. La situation l’impliquait probablement. C’était une obligation.

Susana ne savait pas s’il fallait être heureuse de ce point : s’épanouir complètement, se réjouir totalement. Si Eva revenait dans la région de Boston, c’était très probablement à cause de l’épidémie qui sévissait activement. C’était sûrement parce que la zone était bientôt sans droit, sans loi, sans morale. Pleine de morts. C’était sans doute parce qu’elle ne parvenait pas à trouver une solution à ce problème épineux. Mais elle se garda bien de se morfondre : il faudrait travailler davantage pour réussir.

Le reste attendrait.

FIN

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